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3 août 2021

Nom de code : ALARM – Les LNC mettent au point une nouvelle technologie prometteuse pour la sécurité à la frontière

Les Laboratoires Nucléaires Canadiens (LNC) vont bientôt mettre à l’essai un prototype de détecteur de matières nucléaires spéciales (MNS). Baptisé « ALARM » (de l’anglais A Liquid Argon Radiation Monitor), ce détecteur est basé sur un système à argon liquide initialement conçu pour détecter la présence de matière noire.

Mais revenons un peu en arrière. Les matières nucléaires spéciales, ou MNS, sont un terme générique désignant les matières fissiles radioactives qui pourraient être préoccupantes du point de vue de la prolifération ou de la mise au point d’armes nucléaires. Il s’agit d’éléments tels que l’uranium 233, l’uranium 235 et le plutonium 239. Bien que ces éléments puissent avoir des applications pacifiques, il est essentiel de les surveiller de près pour s’assurer qu’ils ne sont pas détournés à des fins néfastes. De nombreux États déploient à leurs frontières diverses technologies et mesures pour déceler et empêcher les mouvements non documentés de MNS. Les solutions actuelles sont efficaces, mais il est essentiel de les faire évoluer et de les améliorer.

Avec cet objectif en tête, les LNC, grâce au Plan de travail fédéral sur les activités de science et technologie nucléaires d’Énergie atomique du Canada limitée (EACL), cherchent à mettre au point des technologies perturbatrices à appliquer aux domaines de la non-prolifération et de la lutte contre le terrorisme nucléaire. L’essai et la mise en service prévus du détecteur ALARM constituent la phase actuelle de l’évolution de plusieurs projets au cours des quatre dernières années.

« Tout cela a commencé en 2016 avec une évaluation des technologies de détection qui pourraient présenter un intérêt pour les applications de sécurité nucléaire et les garanties », explique Oleg Kamaev, scientifique en recherche et développement et chef des simulations et mesures à la Section des technologies de rayonnement de pointe de la Direction de la physique appliquée des LNC. « Avec Victor Golovko, nous avons constaté que la technologie de détection à l’argon liquide mise au point par l’équipe du projet DEAP constituait un candidat solide pour la détection des MNS dans les applications de sécurité à la frontière, ce qui a conduit à la signature d’une entente de confidentialité et à la création d’une approche collaborative officielle pour l’avancement de cette technologie basée sur l’argon liquide. »

Mais qu’est-ce que la collaboration DEAP et pourquoi aurait-elle besoin d’une technologie de détection de MNS? La réponse courte est qu’elle n’en a pas besoin. Ses membres ne sont pas du tout à la recherche des MNS.

La collaboration DEAP est un groupe de plus de 60 chercheurs (dont Art McDonald, Ph. D., lauréat du prix Nobel et ancien chercheur à Chalk River) issus d’établissements du monde entier : Canada, Royaume-Uni, Mexique, Allemagne, Espagne et Russie. Ils ont mis au point le détecteur DEAP-3600, l’une des expériences les plus sensibles au monde pour la détection directe de la matière noire. On pense que la matière noire, qui n’a pas encore été détectée, est beaucoup plus importante en quantité que la matière visible et représente environ 25 % de notre Univers. Pour l’instant, son existence est déduite de ses effets gravitationnels sur les étoiles et les galaxies. L’objectif de l’expérience DEAP est d’observer et d’identifier directement cette matière noire, une composante importante de l’Univers. Pour ce faire, on cherche à observer de faibles impulsions lumineuses provoquées par la diffusion élastique des particules de matière noire par les noyaux d’argon liquide.

Comme la matière noire est très difficile (en fait, impossible actuellement) à détecter directement, le détecteur DEAP-3600 est enfoui à plus de deux kilomètres sous terre au SNOLAB, près de Sudbury. Le sol au-dessus assure une protection contre les muons produits par les rayons cosmiques qui, s’ils n’étaient pas filtrés, compromettraient l’efficacité du détecteur. Le cœur du DEAP-3600 renferme une cuve en acrylique ultra-propre contenant environ 3,3 tonnes d’argon liquide.

« Le lien entre le détecteur DEAP et la sécurité nucléaire est que sa technologie en fait effectivement l’un des détecteurs de neutrons les plus sensibles de la planète », explique Andrew Erlandson, physicien en sciences appliquées aux LNC. « Bien que le détecteur DEAP ne cherche pas les neutrons en tant que tels, ses concepteurs ont en fait jeté les bases pour démontrer l’efficacité de l’argon liquide comme moyen de détection des rayonnements. »

Nos travaux ici aux LNC visent à améliorer grandement la détection des rayonnements neutroniques et gamma par rapport aux technologies existantes, comme les portiques de détection des rayonnements, qui comportent un scintillateur de plastique et des tubes d’hélium 3 (ou similaire) pour détecter les neutrons. L’argon liquide permet de détecter simultanément les rayonnements gamma et les neutrons, et de distinguer les deux avec une grande précision par discrimination de la forme des impulsions. En outre, les détecteurs à l’argon liquide peuvent facilement être mis à l’échelle pour atteindre des tailles arbitraires (de quelques kilogrammes à plusieurs tonnes) et des facteurs de forme adaptables à diverses applications particulières, car l’argon est très bon marché et nous l’utilisons sous sa forme liquide.

Le détecteur ALARM fonctionnera à peu près de la même façon que le DEAP-3600, bien que de manière quelque peu simplifiée. L’argon liquide au centre du dispositif est isolé de l’environnement et maintenu à des températures très basses (87 K ou -186 °C). Lorsqu’un noyau d’argon est frappé par un neutron (ou toute autre forme de rayonnement ionisant), l’interaction crée un intense faisceau de lumière ultraviolette. Cette lumière est décalée en longueur d’onde vers le spectre visible, captée par des tubes photomultiplicateurs, amplifiée et mesurée. La quantité de lumière détectée est proportionnelle à l’énergie du rayonnement. En sachant exactement à quel moment la lumière est détectée, on peut déterminer si elle provient d’une interaction neutronique ou bêta/gamma.

Au cours des dernières années, Evan Rand et l’équipe de physique appliquée, soutenus par Badamsambuu Jigmeddorj, un boursier postdoctoral, ont travaillé pour faire progresser divers aspects du détecteur : conception, acquisition, assemblage, préparation à l’exploitation. Le détecteur ALARM en est aux dernières étapes de l’assemblage et sa mise en service est prévue plus tard cette année.

« C’est un projet passionnant, ajoute Oleg. Il réunit deux des équipes canadiennes de “mégascience”, le SNOLAB et les LNC. Il s’agit d’une technologie de pointe, et nous sommes optimistes, car nous pensons que ce nouveau prototype de détection à l’argon liquide mènera à d’autres développements dans les techniques de détection passive qui pourraient être déployées dans les portiques de détection des rayonnements aux ports d’entrée du Canada, ce qui fera à terme une différence dans la sécurité mondiale. »

En outre, grâce à sa collaboration avec le projet DEAP, l’équipe des LNC est en mesure d’apporter une aide et d’échanger des connaissances tout au long de la maturation et de l’évolution du projet DEAP, avec de nouveaux projets à l’horizon qui aideront à résoudre l’un des plus grands mystères de la physique de notre époque.

« Pour contribuer aux efforts du projet DEAP, les LNC apportent leur expertise en physique des particules (mise au point de détecteurs, analyse des données, simulation, etc.) à la recherche constante de la matière noire ainsi qu’aux travaux de recherche et développement sur la prochaine génération de détecteurs de matière noire à l’argon liquide (DarkSide-20k, ARGO) qui seront mis en service dans un avenir proche. Bien que les problèmes que nous essayons de résoudre aux LNC soient plus terre-à-terre que la matière noire, on ne sait jamais quelle idée importée des sciences fondamentales pourrait jouer un rôle clé pour rendre le monde plus sûr et plus sécuritaire », ajoute Andrew Erlandson.



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